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Marcel Salathé: «Cette crise a révélé l’aspect critique de la communication scientifique»

L’épidémiologiste et membre de la task force scientifique suisse Marcel Salathé vient de prendre la tête du programme national de recherche sur le Covid-19. Pour «Le Temps», il revient sur les promesses de la science face à la pandémie

«La recherche peut apporter des solutions, mais elle ne peut pas tout», rappelle l’épidémiologiste Marcel Salathé. — © Sebastien Agnetti
«La recherche peut apporter des solutions, mais elle ne peut pas tout», rappelle l’épidémiologiste Marcel Salathé. — © Sebastien Agnetti

C’est la riposte du monde scientifique suisse au coronavirus: le programme national de recherche Covid-19 (ou PNR 78) a été lancé en avril dernier par le Fonds national suisse sur mandat du Conseil fédéral. Il soutient 28 projets à hauteur de 18,6 millions de francs. L’épidémiologiste et membre de la Swiss National COVID-19 Science Task Force Marcel Salathé, qui vient d’être nommé à la tête de ce programme, en a détaillé les défis.

Le Temps: Quelles réponses peut apporter le PNR 78 dans la crise du Covid-19?

Marcel Salathé: Ce programme a été monté très rapidement afin de répondre à l’urgence de la situation. Les projets retenus sont financés pour deux ans, ce qui est aussi assez court par rapport à un programme classique; l’objectif est d’avoir un impact direct sur la pandémie, sans pour autant sacrifier la qualité de la recherche. La majorité des projets concernent des aspects biologiques et médicaux de la pandémie: développement de traitements, de vaccins, de connaissances autour du nouveau coronavirus et de ses effets. Il y aurait également beaucoup à faire autour de ses impacts sociologiques, politiques et médiatiques, mais ce n’est pas l’objet de ce programme.

L’un de ses principaux atouts est de proposer une recherche appliquée au contexte suisse. Les innovations qui en découleront pourront ainsi facilement être mises en place. Je vois par exemple beaucoup de potentiel dans une solution pour protéger les travailleurs de la santé et les patients, qui est développée aux Hôpitaux universitaires de Genève et qui pourrait être étendue à d’autres hôpitaux et institutions de soins de santé suisses.

Il y a beaucoup d’attentes vis-à-vis des chercheurs dans la crise actuelle. Trop?

La communauté scientifique a déjà appris beaucoup sur ce virus. Deux semaines seulement après l’annonce des premiers cas, sa séquence génétique était connue et partagée. Un vaccin pourrait bien arriver sur le marché moins d’une année plus tard. Ce sont d’impressionnantes réalisations. Donc oui, la recherche peut apporter des solutions, mais elle ne peut pas tout, il faut avoir des attentes réalistes. Cette crise a révélé l’aspect critique de la communication scientifique. Des chercheurs se sont trouvés exposés médiatiquement et ont reçu une audience énorme, à laquelle ils ne s’attendaient pas. On a sous-estimé le rôle des réseaux sociaux, qui jouent un rôle capital dans cette pandémie, et qui ont concouru à donner une impression de cacophonie scientifique. Pour moi, il est normal que différents points de vue s’expriment dans un processus de prise de décisions, jusqu’à ce que les données permettent d’exclure certaines options. C’est ainsi que la science fonctionne.

L’Office fédéral de la santé publique a pour la première fois rapporté plus de 100 décès en un jour dans son point quotidien du 10 novembre. Les nouveaux cas semblent en légère baisse. Que faut-il en conclure?

La Suisse se trouve aujourd’hui dans une situation critique, comme de nombreux autres pays européens. Les nouveaux cas de coronavirus se sont multipliés très rapidement ces dernières semaines. A un certain point, le nombre doublait chaque semaine! Actuellement, ils semblent se stabiliser, mais aucun des indicateurs ne montre la nette diminution nécessaire pour réduire l’épidémie. Nous n’avons donc à l’heure actuelle pas d’autres choix que de continuer à réduire drastiquement nos contacts, afin de prévenir une surcharge du système de santé. Il est encore trop tôt pour dire si les mesures prises par la Confédération seront suffisantes pour cela.

Lors de la première vague de covid, vous vous étiez montré très critique envers les autorités par rapport à leur gestion de la crise. Quel est votre regard aujourd’hui?

Il est vrai que je m’exprime moins sur ce sujet. Ce n’est pas parce que cette nouvelle vague me semble moins sévère que la première, mais parce que j’ai l’impression que de nombreux chercheurs font désormais entendre leur voix. Alors que durant la première vague, j’étais un des seuls en Suisse à prendre position sur cette pandémie. J’ai donc choisi de me mettre en retrait et de me concentrer sur des tâches plus opérationnelles comme le déploiement de l’application de contact tracing SwissCovid et la direction du PNR 78.

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